Glace non radio active

culinaire

Challenge ultra technique pour un plat qui cache tout de son process. Coulés dans un moule en chocolat à trois compartiments, trois parfums de glace aux couleurs pastel. Sorti du congélateur, le dessert est glissé tel quel au micro-ondes. Transparente aux ondes, la glace ne bouge pas. "Micro-ondable", le chocolat lui s’intercale entre chaque paroi, fondant en une tiède sauce et nappe la glace toujours gelée…

Le dessert qui sert à ballotter les idées reçues sur le fondant non fondable et l'utopique cuisson des contraires. Une vraie victoire, sans artifice d’isolement climatique, sur l’omelette norvégienne ! Une béa de chocolatier contraint par la matière si sensible. 50 secondes, départ, « kling » et voilà toute son œuvre transformée en une étonnante gourmandise. Contenant malin livré à l’envi, réceptacle libérateur, emballage moulant le désir et fondant le plaisir.

Abandonnée aux spécialistes, la cuisine semble ainsi faite de contradictions improbables. Mais designée pour le grand nombre et mise au service d’un banal utilitaire de kitchenette, elle peut alors anéantir les à priori, effacer les appréhensions, et tomber dans le bien commun.

Non content de faire sourire, le plat inscrit ainsi la réhabilitation d’un procédé injustement relégué comme pendant du congélateur, pourtant ô combien porteur de recettes et de pratiques nouvelles. Reste que du gastro à l’agro, le designer ouvre grand la porte à une industrie grande dépensière de process novateurs.

Projets issus de l'exposition Tool's Food - Paris, 2007


Frédéric Coursol

Recettes élaborées en collaboration

Frédéric Coursol cuisine en Auvergne mais il a le cœur à l’Italie, un œil sur l’Asie et l’esprit à l’ouverture. Féru de technique, passionné d’innovations, mordu de revues spécialisées, il est l’auteur d’une cuisine vive, stratifiée, précise et graphique. Energique dans ses innovations, vif sur les challenges, prompt aux défis, il porte aux nues micro ondes.

« Le process du moule en chocolat en forme de flèche a nécessité d’énormes contraintes car le chocolat c’est une science à manier au degré et à l’angle près. Et au final, une forme un peu cartoon, axée jeune public d’où le travail avec des glaces qui parlent de bonbons symboliques pour nous les trentenaires, la banane, la tagada et le shtroumpf ; ce dernier pour sa couleur non alimentaire. Entre objet et forme à manger, le tout laisse dans l’interrogation. Cette idée d’un objet de forme parfaitement géométrique, lisse, très designé me renvoie à l’industrie et m’éloigne de l’artisanat du fait de son besoin de régularité.»


Tool's Food

Paris 2007

Je n'ai jamais été à l'aise avec les étiquettes ; le design culinaire c'est d'abord du design ! Une approche qui vise à décloisonner les savoirs et les savoir-faire, à tisser librement des rapprochements pour permettre des propositions pertinentes, c'est à dire sensées et singulières.

Car c'est bien de singularité dont il s'agit. A chacune de ses interventions, Ferran Adria cite volontiers son aîné Jacques Maximin : "créer n'est pas copier ". Et tous les chefs que j'ai pu rencontrer s'échinent, en tout cas le disent-ils, à exprimer leur personnalité, et donc leur différence, dans nos assiettes. Le design est là pour ça, le design sert à ça, on pourrait même dire qu'il a été inventé pour ça !

Le départ est donné en 1997 sur fond d’histoire d'amitié. Une rencontre d’enfance à Nancy avec Stéphane Marchal, devenu depuis pâtissier, pour qui j’ai dessiné l’architecture intérieure d'un premier magasin. De là, est née l’ envie de dépasser sa demande initiale en lui suggérant une approche plus globale, non seulement de son entreprise, de sa communication graphique, des vitrines mais aussi, un travail sur les produits eux-mêmes. De par son ouverture d'esprit, Stéphane Marchal a accepté le jeu d'emblée. Ainsi, et ce pendant dix ans, j'ai eu la chance de pouvoir tester mes idées in vivo et investir un champ créatif que l’on ne nommait pas encore design culinaire.

Durant cette période, si j'ai pu mesurer l'intérêt précurseur et croissant des médias, j'ai aussi été frappé par la relative indifférence affichée par le monde de la cuisine. Modestement, une décennie plus tard, l'exposition Tool's Food s'assigne un objectif ambitieux : sensibiliser au design en général et par là même, au design culinaire, une nouvelle génération de chefs.

Parce qu'ils contingentent le plus souvent le design au décor d'une vaisselle ou d'un restaurant, je suis allé chercher volontairement les cuisiniers dans leur pré carré de procédés, de techniques et de cuissons. Jeunes, pas encore pervertis par la starification qui les guette, mais d’une assise professionnelle déjà impressionnante, à chacun, en fonction de sa cuisine, je suis venu proposer une piste radicalement innovante que j'avais déjà validée dans mon atelier. Rapidement passés au tamis de leur expertise, les « pourquoi pas » sont devenus des « pourquoi » puis des « comment » et enfin, des « voilà ! »… Malgré des emplois du temps peu propices à l'expérimentation, tous ont joué le jeu en laissant tomber le « je » pour le « nous ». Avec eux j'ai voulu partager leur avenir, apporter des réponses qui sont des questions, parler de l'industrie agro-alimentaire qu'ils côtoient tous plus ou moins, pour vivre... et qui seule, à condition qu'on la contrôle, permettra de rendre accessible la qualité. J’ai souhaité montrer les passerelles qui existent entre les différentes activités de création et dont la cuisine tarde à se rapprocher. J'ai plaidé la cause du respect de la création et de l'impérieuse nécessité de citer ses emprunts ou ses sources, de l’urgence à l’intégrer dans l'enseignement professionnel de la cuisine.

Dans un souci de design global, j'ai évidemment dessiné aussi des plats et des ustensiles en synergie avec leur recette et j'ai soigné le style parce qu'il peut être porteur de sens et de plaisir. J'ai asséné, en plaidant pour ma paroisse, qu'à deux on est plus fort, que le designer, quand il ne joue pas à l'artiste, le sait, mais que le cuisinier, quand il se dit chef, l'oublie parfois. Nous nous sommes écoutés, toujours, entendus, souvent, et accordés, finalement.

Reste que tout est encore à faire et si ça n’est pas ici, ce sera ailleurs, dans d'autres pays à l'histoire culinaire moins lourde à porter. Mais le mouvement est en marche et la jeune histoire du design montre que lorsque celui-ci investit un domaine, il n'est pas de retour en arrière possible…